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Analyse

La « chancelière du climat », entre promesses et réalité

A l'occasion du G7, Angela Merkel espère convaincre ses partenaires de prendre des engagements pour lutter contre le réchauffement de la planète. Mais sa propre crédibilité est écornée par les difficultés liées au « tournant énergétique » allemand.

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Par Thibaut Madelin

Publié le 5 juin 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Angela Merkel, qui reçoit dimanche et lundi les leaders du G7, a au moins deux objectifs. Premièrement, que ses collègues regagnent leurs pays avec une image idyllique de l'Allemagne. Les conditions sont réunies. Niché dans une vallée au pied des montagnes bavaroises, le château d'Elmau, l'hôtel qui accueillera les chefs d'Etat et de gouvernement des sept pays industrialisés, est un coin de paradis. Le deuxième objectif est plus délicat. La chancelière espère obtenir une forme d'engagement en faveur d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui doit servir de base à la conférence sur le climat, prévue en décembre à Paris. « C'est notre objectif le plus important du G7 », confie-t-on à la chancellerie. Malgré le soutien indéfectible et naturel de François Hollande, le pari n'est pas gagné d'avance.

Certes, Angela Merkel a une expérience quasiment inégalée en matière de sommets climatiques. On peut même dire qu'elle doit au réchauffement de la planète sa percée politique. En tant que jeune ministre de l'Environnement, sous le gouvernement d'Helmut Kohl en 1995, elle s'est illustrée en forgeant un compromis entre 160 nations, qui servit de base au fameux protocole de Kyoto, deux ans plus tard. Ce succès lui a immédiatement valu le respect de ses pairs. Idem en 2007 : cette fois-ci chancelière, Angela Merkel avait alors réussi la prouesse de faire plier le président américain George Bush en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique lors du G8 de Heiligendamm, sur la côte Baltique. Depuis cette date, « Mutti » est aussi appelée la « chancelière du climat ». Sa décision subite de sortie du nucléaire, après la catastrophe de Fukushima de 2011, a parachevé cette image de « sauveur de la planète ».

Huit ans après Heiligendamm, Angela Merkel est toujours aux commandes, mais sa crédibilité a pris du plomb dans l'aile. La « chancelière du climat » menace de devenir la « chancelière du charbon », comme l'accusent ses détracteurs. C'est l'ironie du tournant énergétique allemand, pourtant considéré comme pionnier : il consacre les énergies renouvelables, qui représentent déjà le quart de la production électrique, et dans le même temps favorise les centrales à charbon, qui assurent quelque 45 % de la production grâce à des coûts très bas. Résultat, les émissions de CO2 de l'Allemagne ont augmenté entre 2010 et 2013. Quant au léger repli de 2014, il s'explique par une météo clémente. Faute de mesures drastiques, l'Allemagne risque de manquer ses propres objectifs à l'horizon 2020.

Pour y remédier, le ministre de l'Economie et de l'Energie, Sigmar Gabriel, a présenté un projet ambitieux, visant à taxer les centrales au lignite, un charbon particulièrement polluant dont regorge l'Allemagne. Sur le papier, la solution est élégante et permet de faire d'une pierre deux coups : elle réduit les émissions de CO2 tout en supprimant une partie des surcapacités qui font pression sur les prix de l'électricité sur le marché de gros. Mais les groupes d'énergie RWE, E.ON et Vattenfall, dans une union sacrée avec les syndicats, crient au loup et anticipent un effet de domino qui signerait la fin du lignite et la disparition de 100.000 emplois. L'Agence fédérale de l'environnement, elle, voit moins de 5.000 emplois menacés. Dans ce dossier, Sigmar Gabriel s'est vu abandonné en rase campagne par Angela Merkel, qui a pris soin de ne pas se prononcer pour ne pas gêner son parti chrétien-démocrate (CDU), hostile au projet. Isolé, le ministre social-démocrate (SPD) prépare des alternatives.

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La chancelière, à qui l'on prête l'intention de gouverner avec les Verts en 2017, n'en demeure pas moins elle aussi sous pression. « Deux attentes s'adressent à l'Allemagne au sommet du G7, écrivait Nicholas Stern dans l'hebdomadaire « Die Zeit » en mai. Premièrement, elle doit être un meneur international, comme Angela Merkel l'avait déjà fait en 2007 au G8 de Heiligendamm. Deuxièmement, elle doit rester crédible dans la mise en oeuvre de ses objectifs de protection du climat. » Les propos de l'ancien conseiller de Tony Blair ne devraient pas laisser la chancelière indifférente. Elle est convaincue par sa thèse selon laquelle le réchauffement climatique coûte plus cher à long terme si on ne fait rien que si l'on prend des mesures coûteuses à court terme. Et pourtant, « l a politique climatique allemande est morte », peste un député... Officiellement, Berlin affirme être en ligne avec ses objectifs de réduction des émissions de gaz effet de serre.

Mais l'ambivalence d'Angela Merkel s'illustre dans un autre dossier : les lignes à haute tension. Un élément clef du « Energiewende » vise à transporter de l'électricité éolienne offshore produite sur les cotes du nord de l'Allemagne vers le sud, où elle est consommée, et où doivent fermer le plus de centrales nucléaires d'ici à 2022. Seul problème : face à la contestation des riverains, la Bavière refuse que ces lignes électriques traversent son territoire. Jusqu'ici, Angela Merkel n'a pas sifflé la fin de la récréation ni rappelé à l'ordre son allié de la CSU bavaroise... Mais faute de progrès, c'est le rêve d'un tournant énergétique offrant une électricité sûre, propre et à un prix abordable qui menace de tourner court.

Au-delà d'un engagement du G7 sur l'objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2° Celsius, Angela Merkel veut encourager ses collègues à alimenter le fonds vert, censé aider pour 100 milliards de dollars par an les pays en voie de développement. Sur ce point, l'Allemagne montre l'exemple et a annoncé le mois dernier un doublement de ses financements climatiques internationaux, à 4 milliards d'euros par an. Comme quoi, il est parfois plus facile de faire un chèque que de prendre des décisions douloureuses. Même en Allemagne.

Les points à retenir

La chancelière allemande, qui doit au réchauffement de la planète sa percée politique, est aujourd'hui menacée de devenir la « chancelière du charbon ».

C'est toute l'ironie du tournant énergétique allemand, décidé au lendemain de la catastrophe de Fukushima.

Il consacre les énergies renouvelables, mais, dans le même temps, favorise les centrales à charbon.

Correspondant à Berlin Thibaut Madelin

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